NOUVELLE
Bonjour à tous, Le bel oiseau ? 7
h : Voix métallique de l’horloge. Réveil difficile. Sensation désagréable,
prémonition funeste, attention, aujourd’hui : danger. Parce qu’à chaque
fois que je l’ai ressentie, ça n’a pas loupé : le bol de café sur mon
pantalon blanc et qui , en plus, me brûle (des cloques pendant trois jours) ,
je vous passe le Schumacher du quartier, il grille un feu et emporte avec lui
mon aile avant gauche ; et dernièrement la collision fortuite avec un
serveur (dommage il était mignon) au détour du zinc du « p’tit bistrot »
et qui, bien entendu, tenait un plateau rempli de boissons qui sont venues
s’étaler sur le sol dans un grand fracas de verre. La honte ! Du coup, ce
matin, je ne me sens que très moyennement rassurée. Il va falloir être
vigilante, surtout que ce soir j’ai rendez-vous avec le bel Emmanuel. Deux mois
que j’attends ça ! Bon d’accord, il n’est pas encore dans mon lit, mais
j’espère bien, au moins, un long baiser de cinéma. Vivement dix-huit heures. 8
h 50 : J’arrive au boulot. Jusque là tout s’est bien passé, j’ai même trouvé
rapidement une place pour ma voiture. C’est louche, vais-je le payer
doublement ? J’entre
fébrilement dans le cabinet. Et si le mauvais pressentiment concernait mon
travail ? Un patient pénible ? Un taré qui veut me découper en
morceaux avec mon bistouri ? Ou pire, ma patronne qui a décidé, une fois
de plus, de venir m’enquiquiner : et pourquoi ci…et pourquoi ça…et
gnagnagna. Celle-là, c’est vraiment une plaie. Heureusement il y a Suzann, la
secrétaire. Sympa, toujours de bonne humeur et surtout, dotée du légendaire
flegme britannique, fort utile avec les patients. Comme
elle me voit jeter des regards furtifs en direction de la porte de ma très
chère consoeur, elle abrège mon supplice : « elle n’est pas là. Tu sais,
la formation diabète… » S’il y a un dieu de l’employé c’est sûr, il est
avec moi aujourd’hui. C’est toujours ça de pris. Je respire mieux et regarde
maintenant l’agenda avec appréhension. Y a-t-il, dans cette suite de noms, des
fâcheux potentiels ? Le nœud dans mon ventre proviendrait-il d’une de ces
personnes ? -Mme
Le Corre, non ; Mme Nedellec, chouette je vais avoir des chocolats ;
Mr Moal, connais pas (serait-ce lui ??) ; Mme Marioz, non ; Mme
Kerhapp, houhou, méfiance, celle-là pinaille parfois ; Mr Rinpré, oh lui,
il est absolument charmant ; Mme Loirret, ah zut, j’en suis certaine
maintenant, c’est elle ! A chaque fois, j’ai droit à des remarques, à
des « oh, doucement voyons, vous me faites mal ! Quelle brute
vous êtes aujourd’hui ! » et curieusement elle revient toujours. J’en
ai des sueurs froides quand je la soigne. Et dire que je termine ma journée par
ce cerbère en tailleur Chanel ! Heureusement
qu’après, j’ai ma petite récompense. Ah… Emmanuel… La
pédicure attentionnée que je suis a dorloté mesdames Le Corre et Nedellec. J’ai
eu droit à mes chocolats, fourrés au café, mes préférés. Attention aux kilos
dans les fesses, quand même. Entre
Mr Moal. Restons sur nos gardes. La cinquantaine, distant, il me sort une tonne
de radios pour m’expliquer des douleurs saugrenues au pied droit. Hou la la…le
voilà le problème, me dis-je. Et puis, non. Après un examen minutieux pendant
lequel mon patient se déride, je conclus simplement. Semelles pour jeudi. Il me
quitte enchanté. Pause
café-chocolats fourrés avec Suzann. Comme nous ne sommes que toutes les deux,
elle s’étire en longueur. Une fois n’est pas coutume. Mais déjà il est temps de
reprendre notre labeur qui se poursuit, pour moi, dans l’atelier. Au programme,
trois paires de semelles à terminer. Vite
je coupe, vite je ponce, vite je colle sur fond de musique rock que crache le
poste de radio. J’en aurais presque oublié cet affreux pressentiment si, à
l’instant de refermer le tube de glue, le pinceau ne m’avait échappé des doigts
pour venir s’écraser par terre. J’ai juste eu le temps de l’esquiver. Etait-ce
là ma prémonition ? En tout cas j’ai frôlé la catastrophe et me promets
d’être plus attentive pour le reste de la journée. 12
h 30 : il fait très beau ce midi et c’est l’esprit badin que je
descends au port de commerce. Je vais rejoindre ma copine Marie pour déjeuner
« aux quatre vents ». Sur le port, agité par le tournoiement
incessant des goélands dans le ciel et le va-et-vient des navires sur l’eau,
les terrasses des restaurants sont déjà bien remplies. C’est sûr qu’ici il faut
profiter du moindre rayon de soleil quand celui-ci daigne se montrer. On ne
peut pas dire que Brest soit réputée
pour son climat! Alors Marie et moi en profitons un maximum, lunettes noires
sur le nez, cigarette dans une main, kir dans l’autre, en train de faire nos
pestes à mater les manutentionnaires du port en marcel blanc et jean moulant. J’évite
le plat du jour : moules aux curry. J’adore ça mais alors que j’allais
commander ce régal, une vision d’horreur m’arrêta brusquement : un
mollusque récalcitrant projetant son jus orange sur la jolie petite robe noir
que j’ai payée une fortune pour mon rencard de ce soir. Et plus je vais essayer
de la nettoyer, plus la tache va s’étaler et ressembler à un gros crachat.
Magnifique ! Sans oublier l’odeur ; un bonheur. C’est sûr qu’avec ça,
pas de doute, Emmanuel va craquer. Non,
non, surtout ne prendre aucun risque. J’ai cherché pendant trois jours LA tenue
sexy mais pas vulgaire qui ferait chavirer n’importe quel homme normalement
constitué, j’ai passé deux heures chez « Josy coiffure » afin de
rendre présentable mes cheveux filasses, plus une heure ce matin à jouer du
fond de teint, blush et autre mascara pour ne pas tout foutre en l’air à treize
heures devant des moules de bouchot ! Je me rabats sur une tarte aux poireaux,
inoffensive. 14
h 30 : Mme Marioz quitte le cabinet avec des pieds neufs. Et c’est, un peu
tendue, que j’accueille Mme Kerhapp. Pourvu qu’elle soit dans un bon jour…Mon
appréhension matinale me reprend. Je suis sur mes gardes, concentrée, le geste
précis, rapide, efficace, la parole aimable et le sourire de rigueur. Et tout
se déroule à merveille, la patiente ressort satisfaite. Mr
Rinpré arrive, essoufflé, se confondant en excuses pour trois minutes de
retard. Quel vieux monsieur délicieux. En un clin d’œil le voilà assis sur le
fauteuil. Il me raconte alors tout un tas d’histoires drôles sans oublier, bien
entendu, les dernières anecdotes du quartier et de ses habitants. C’est qu’il
est un peu commère à ses heures. Malheureusement les meilleures choses ont une
fin et Mr Rinpré me quitte, l’oeil malicieux en esquissant un sourire.
Maintenant il va taquiner Suzann pendant un quart d’heure avant de rentrer chez
lui. Je vais les entendre rire tandis que je serai aux prises avec une gorgone. Allez
courage, une demi heure de supplice, c’est vite passée. Méthode coué, car cette
demi heure je l’ai sentie ne pas passer justement. Plus cette vipère me
suppliciait, plus l’horloge ralentissait. J’ai essayé de respirer profondément
et doucement afin de ne pas avoir des suées qui auraient ravagé mon rimmel et
anéanti les efforts de mon déodorant. Je ne peux pas me permettre de me
présenter devant l’homme de ma vie dégoulinante de transpiration et empestant
la sueur. Allez, allez, respire ma fille. Et surtout, ne pas regarder cette
Méduse ! 17
h 45 : mon calvaire s’arrête enfin… J’ai vraiment besoin d’un sopalin pour
mes aisselles et d’une clope. Pff….la première bouffée est un bonheur. Avec ça
un petit chocolat de Mme Nedellec, je l’ai bien mérité … Je
souffle enfin. Ça y est. La journée de travail est terminée, je sens mes
craintes se dissiper. Après un rapide rangement, je claque la bise à Suzann
« Bon week-end, à lundi » et referme la porte derrière moi. Tout est
en place : la tenue impeccable, la coiffure aussi. Un petit coup de
parfum, du rouge sur mes lèvres, je troque mes ballerines pour d’adorables
escarpins pailletés. Les premiers pas sont hasardeux avec huit centimètres de
talons mais je me sens légère, sereine. Le mauvais pressentiment s’est envolé,
c’était une fausse alerte. Le
soleil darde toujours la ville de ses rayons tandis que je pousse la porte de
l’immeuble. J’aperçois Emmanuel, en face, sur le trottoir, terriblement
attirant dans sa veste Armani grise, des lunettes Pilote sur le nez, nonchalamment
adossé à un réverbère. Et moi, affriolante dans ma petite robe noire, apprêtée,
maquillée, manucurée même, je fais un pas dans sa direction. Je
suis stoppée dans mon élan. Un liquide visqueux, grumeleux, jaunâtre et sentant
fort l’excrément tombe sur mes cheveux, glisse sur ma joue et vient s’écraser
sur mon bustier. Un
goéland vient de me déféquer dessus... Sur
le trottoir d’en face, Emmanuel éclate de rire.
Je vous propose aujourd'hui une nouvelle de ma composition. Bonne lecture, et n'hésitez pas à me donner votre avis.
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