<!-- /* Style Definitions */ p.MsoNormal,
Photographie Cabaret
Comme
tous les soirs, Julien éteignit les photocopieuses, rechargea les bacs papier,
vérifia les systèmes et souleva les couvercles à la recherche d’un éventuel
document oublié par un client. La chose n’était pas rare, et ce soir là, ce fut
au tour d’une photographie d’une femme en médaillon de subir le sort du cours
de math des 1ère STT du lycée Michelet, du texte de la dernière
chanson à la mode, de l’acte notarié de Mr Bellfond, de la déclaration d’amour
de Jessica et de la facture EDF de Mme Leblaise, 34 rue des roseaux.
La
petite photo alla donc rejoindre naturellement la boîte des objets trouvés ou
plutôt, dans leur cas, des documents perdus.
Elle
n’y était d’ailleurs pas l’unique cliché : une mariée, un bébé rieur, un
jeune couple devant un temple grec et un vieux monsieur en chapeau haut de
forme allaient lui tenir compagnie.
Julien
essaya alors de se souvenir des clients qui avaient utilisé la photocopieuse
n°3, car enfin, à qui donc l’image pouvait-elle appartenir ? A la vieille
dame au chihuahua ? Non, elle s’était servie de la 2. Au grand type tout
maigre ? Peut être. A la jolie fille au chignon ? Non, il lui
semblait qu’elle avait copié des cours. Ou était-ce à la femme enceinte ?
Celle aux yeux bleus ? Celle en minijupe ? Celle de 20 ans ?
Celle de 60 ? Au monsieur au costume élimé ? A celui avec un
accent ? Au blond, au roux, au petit, au grand ? Il y en avait
tellement eu. Impossible de tous se les remémorer. Et en plus, comment savoir à
quelle heure la photocopieuse n°3 avait cessé de débiter ses copies ?
Machinalement,
Julien rangea la boîte, éteignit les lumières, tira le volet roulant de sa
boutique et partit.
Le
lendemain matin un homme attendait devant l’entrée. Certainement le
propriétaire de la photographie, présuma Julien. Mais non, seulement un homme
pressé. Il en fut presque déçu. La journée passa sans que personne ne vint la
réclamer. Aussi, avant de rentrer chez lui, il la ressortit de la boite.
C’était un portrait de femme, brune, enserrée dans un vêtement noir, le regard
détourné de l’objectif, le visage grave, sans un sourire. Il aurait pu la trouver
jolie si elle n’avait été du début du siècle. Car l’austérité de la tenue, de
la coiffure, de ses traits et de sa pose conférait à cette femme un
distant respect; de celui dû, généralement, aux figures ancestrales ou
aux monuments historiques. Son atemporalité dénaturait son pouvoir de
séduction. Il la reposa dans le carton et rentra chez lui.
Le
deuxième soir, à nouveau Julien regarda le portrait avant de rentrer chez lui.
Le troisième jour le surprit, dès le matin, à contempler le frêle visage. Elle
avait vraiment un curieux air, cette petite femme. La figure tournée vers la
droite, elle braquait ses noires iris vers un lointain perçu d’elle seule. Les
lèvres pincées, les pommettes hautes, les cheveux remontés en un savant
chignon, le teint pâle, elle paraissait surprise, ou autoritaire, ou
impassible, on ne savait que dire. Et c’est cela, justement, qui intrigua le
jeune homme.
A
présent, lorsqu’il ressortait l’image, entre deux clients, il avait
l’impression de découvrir une nouvelle
personne. La petite femme était mouvante. Jamais vraiment la même, ni jamais
totalement différente.
Une
semaine plus tard, le portrait espérait toujours la venue de son distrait
propriétaire.
-
Pourtant, se disait Julien, une si jolie frimousse, ça ne s’oublie pas !
Il
l’avait installée à coté du téléphone, bien en vue des clients, dans l’espoir
qu’elle fut reconnue par l’un d’eux. En vain. Et lui, à force de la croiser sur
son comptoir, se prit à se poser mille questions à son sujet, et surtout, celle
cruciale de son identité. Aucun nom, aucune date, rien. Sur le verso,
uniquement : « Photographie Cabaret – 99 rue Zitapril –
Fléra-sur-oise ».
Alors,
de temps à autre, au lieu de travailler, Julien s’amusait à lui attribuer un
prénom à l’aide du calendrier de la poste ou s’asseyait à son bureau pour la
dévisager. Il passait ainsi de longues minutes à tenter de percer le mystère de
cette expression singulière. A plusieurs reprises, il cru y être parvenu :
elle est étonnée ; c’est ça le reflet dans sa pupille ! Non, elle est
sûre d’elle ; une maîtresse femme, c’est certain ! Ou alors :
c’est de la tristesse qui émane d’elle, un air résigné ; voilà une fille
qui n’a pas dû avoir une vie facile…
Elle
était tout cela à la fois.
Il
décortiqua sa tenue, passa à la loupe son pendentif, sa pince à cheveux en
nacre, ses boucles d’oreilles. Il étudia la coiffure, les pans relevés de ses
cheveux, l’accroche cœur sur son front ; il promena son regard sur ses
joues, la naissance de son cou, sa poitrine légèrement dessinée sous l’épais
velours noir… Il ne pouvait se repaître de ce visage passé. Sans cesse, il
revenait à lui. Attiré, il en était tombé amoureux.
Alors
il retira la photo de son comptoir. Jalousement il la cacha aux yeux du monde
et souhaita de tout son être que personne, jamais, ne viendrait la lui
reprendre. Dans cette crainte, il procéda à un retirage mais le résultat se
révéla médiocre. La nouvelle épreuve demeurait trop sombre et beaucoup de
détails manquaient.
-
Si quelqu’un vient, je dirai que je n’ai rien trouvé. Voilà. Un mois après, c’est
tout à fait possible…
Sa
résolution était prise.
Le
soir, dans son appartement, Julien rêvait de la belle inconnue. Craignant de
l’égarer, il ne l’emmenait jamais avec lui. Et surtout, il appréciait ces
instants loin d’elle pour autant d’heures de tourments qui sublimaient sa
passion. Il brûlait alors de mille feux dans l’attente libératrice des
retrouvailles. Elle attendait au magasin. Lui, fébrilement, ouvrait la porte,
retenant encore quelques minutes la clé dans la serrure, prolongeant ainsi l’instant
délicieux avant la rencontre, toujours nouvelle, toujours différente. Quelle
femme allait-il découvrir aujourd’hui ? L’étonnée ;
l’amoureuse ; la meurtrie ; la sévère ; la mutine ;
l’impassible ? Car comme tous les amoureux du monde, il redoutait d’être
éconduit. Puis, ses craintes envolées, il couvait des yeux ce teint d’opaline,
ce nez retroussé, ces lèvres finement ourlées. Il contemplait cette beauté 1910
avec dévotion.
Car
il en était certain, pour avoir effectué des recherches sur internet, l’image
datait de 1900-1915. Et l’inconnue devait avoir dans les 20- 30 ans. Elle était
donc décédée depuis longtemps.
Curieuse
sensation que d’être épris d’une femme morte certainement depuis plus de
cinquante ans.
Quelle
a été sa vie ? A-t-elle été amoureuse ? Heureuse ? Des enfants,
certainement. Des petits enfants et même, peut être, des arrières petits
enfants qui seraient venus faire une photocopie du portrait de leur arrière
grand-mère et qui l’aurait oublié là ?
Julien
se remémora le soir où il l’avait découvert, petit bout de carton perdu dans un
coin du plateau de verre. Il croyait voir une jeune femme, vingt-cinq ans
environ ; elle lui paraissait ressembler à l’image. Est-ce elle, le
lien ?
************
« Photographie Cabaret- 99 rue Zitapril-
Fléra-sur-oise
Photographe
du ministère de l’instruction publique et des Beaux-arts, attaché à la
commission des monuments historiques pour le département de l’Oise »
Et
inscrit en minuscule en bas du carton : « N° du cliché 1054. On
pourra toujours avoir des épreuves à la maison ».
-
Mais, bien sûr, se dit le jeune homme en se précipitant sur l’annuaire
téléphonique.
Mais
il déchanta rapidement. Aucun photographe de Fléra ne portait ce nom, ni ne
siégeait à cette adresse.
-
Après tout, Fléra n’est qu’à dix kilomètres… J’irai voir demain.
Et
le lendemain matin, dès huit heures, Julien arpentait la rue Zitapril à la
recherche du numéro 99. Le rythme de son cœur s’accélérait à mesure que
défilaient les numéros. 77…85…91…Qu’espérait-il au fond, il ne savait trop.
Dans ses rêves les plus fous le photographe l’attendait : « Bien sur
monsieur, le cliché n°1054… son nom, son adresse, bien entendu. Il s’agit de
Mlle… » et là tout se résolvait, il retrouvait sa trace, suivait sa
descendance jusqu’à la jeune fille apparue dans son magasin. Il lui rendait la
photographie en découvrant avec émerveillement qu’elle était la copie conforme
de son arrière-grand-mère…
Mais
cent dix ans après, il lui fallait reconnaître que le portraitiste ne
l’attendait certainement pas et qu’il tenait une piste bien maigre dans sa
quête de l’identité de la belle inconnue. Depuis la veille, il oscillait entre
espoir déraisonné et pragmatisme désolant. C’est le cœur battant la chamade
qu’il approcha du 99.
Mais
en lieu et place de « photographie Cabaret » se tenait…un Mac
Donald’s. Evolution cruelle du 20ème siècle. La petite femme en
médaillon serrée dans son corset, au chignon parfaitement ajusté, au regard
franc et au fier port de tête , remplacée par une serveuse à la mèche tombant dans
les yeux, vêtue d’une affreux tee-shirt orange, au regard morne et aux pas
traînant. Que les petites femmes du peuple avaient changé ! Dépité, Julien
commanda un café et alla s’asseoir à une table.
Une
demi-heure plus tard, il sortit du restaurant.
En
revenant sur ses pas il fut surpris de découvrir une petite boutique de photo
au n°92. Il décida alors de tenter sa chance : « Quitte à être là… ».
En
expliquant la raison de sa venue le jeune homme senti que le quadragénaire, qui
l’observait derrière ses petites lunettes d’acier, le prenait pour un
hurluberlu. Il joua son va-tout en sortant la photo. L’homme allait y jeter un
regard aussi rapide que distrait lorsque son attention fut attirée par une
marque sur le verso et son visage, soudain, s’éclaira.
-
Ce tampon, là derrière, me dit quelque chose. Il me semble l’avoir vu dans les archives de mon père, quand j’étais
enfant. Car voyez-vous, il a racheté cet atelier à un homme très âgé qui, je
crois, officiait plus haut dans la rue. Ça pourrait peut-être correspondre...
Je dis bien, peut-être…
Julien
cru s’étouffer.
-Ecoutez,repris
l’homme avec exaltation, je regarderai le titre de propriété, l’historique, en
quelque sorte, de la boutique et vous dirai s’il y a un rapport avec
« Photographie Cabaret », d’accord ? Je vous appellerai si je
découvre quelque chose.
Et
c’est sur un petit nuage que le jeune homme regagna sa voiture. Il ne vit même
pas la route jusqu’à son magasin, à tel point qu’il faillit occasionner un
accident. Le reste de sa journée passa dans ce brouillard de secrète espérance.
Le lendemain, il avait retrouvé ses esprits, même si, pour la première fois, il
parla au portrait à voix haute :
-
Je vais vous retrouver et je vous rendrai à votre famille, je vous le
promets….Je vous retrouverai…Je veux tout connaître de vous. Vos goûts, votre
caractère, votre histoire. Tout. Jusqu’à
vos rêves…peut-être….
Quatre
jours s’étaient écoulés depuis sa visite à Fléra-sur-Oise. Julien désespérait
de recevoir l’appel du photographe lorsque le téléphone retentit.
-
D’après l’acte de propriété, la boutique s’appelait avant « Lessaux
photographie ». Pas de trace de « Cabaret ». Il faut dire que….
Julien
n’écoutait plus. Il sentait les larmes au bord de ses yeux. Quelle
déception ! Car, malgré tout, il y avait cru.
-
Vous m’écoutez ? Allo ? Interpella le photographe. Je croyais
pourtant que cela aurait pu vous être utile dans vos recherches, vous ne
trouvez pas ?
-
Quoi ? Quoi ? Excusez-moi, vous disiez ? S’enquit prestement le
jeune homme.
-
Je disais que Mr Lessaux, l’ancien propriétaire, était attaché à la commission
des monuments historiques du département. C’est pas un truc comme ça qui est
inscrit au dos de votre photo ?
-
Oui.
-
Donc, peut-être que ce Lessaux est l’homme que vous cherchez.
Julien
retenait son souffle.
-
Comment, puisque ce n’est pas le même nom ? Objecta-t-il cependant.
-
Parce que « Lessaux Photographie » c’est le nom de la maison en 1946
quand mon père l’a acquise. Dans les années 1900-1920, elle pouvait avoir une
autre appellation. Seuls les noms en cours d’utilisation sont répertoriés sur
les actes de vente.
Soudainement
il eu peur de comprendre.
-
Ce que vous êtes en train de me dire… C’est que ce Lessaux en question a pu
appeler sa boutique « Photographie Cabaret » au début du siècle et
« Lessaux photographie » dans les années 30 et la vendre sous ce nom?
-
Exactement, déclara le photographe avant d’ajouter ; d’autant qu’il
semblerait, mais là j’utilise le conditionnel, que Lessaux l’ai créée en 1897.
Cette
fois, Julien cru défaillir. Il jeta un coup d’œil éperdu à la petite femme qui
continuait de l’ignorer.
-
Vous êtes toujours là ? S’inquiéta l’homme à l’autre bout du combiné.
-
Euh...oui…oui.
-
Nous n’avons pas d’archives de cette époque. Je ne peux malheureusement vous
aider plus. Mais je vous conseille d’aller au ministère et avec le nom de
Lessaux Joseph et l’adresse, vous trouverez peut-être quelque chose. Il était
fréquent que les photographes attachés à des ministères leurs donnent des
copies des épreuves afin de constituer une sorte de « fond
historique » vous voyez.
-
Merci…
-
De rien, répondit le photographe. Alors bonne chance… et tenez moi au courant,
d’accord ?
-
D’accord.
************
Tout
s’arrêta quelques semaines plus tard, lorsque, après de multiples contacts, les
portes du ministère des Beaux-Arts restèrent désespérément closes. Julien
buttait sur cet obstacle. Les agents administratifs ne voulaient rien
entendre : « Non, non...il n’y a rien de tel ici. » ou
« Les archives ne sont consultables que par des personnes autorisées ». Mais comment le
devient-on ? Il ne le su jamais.
Un
soir, après une ultime rebuffade, Julien alla s’asseoir sur un banc en face du
ministère pour digérer son dépit avant de rentrer chez lui avec la ferme
intention de ne plus jamais revenir. C’est alors qu’une jeune femme l’aborda.
-
Je vous ai entendu tout à l’heure avec le type de l’accueil. Il vous raconte
des sornettes. Le texte n°1214-32 stipule que les archives sont libres d’accès
sur présentation d’une pièce d’identité. Il ne veut pas s’ennuyer avec vous,
c’est tout. Je consulte régulièrement les documents ici, je sais de quoi je
parle.
Puis,
dans un sourire, elle ajouta :
-
Ne vous laissez pas impressionnez.
************
Il
faisait frais ce matin là, et pourtant Julien transpirait, les joues écarlates
d’émotion mal contenue. Il avait parcouru les allées en quête du photographe
Lessaux Joseph à Fléra-sur-Oise. A présent il tenait une volumineuse boite
métallique qu’il déposa fébrilement sur une table avant d’en ouvrir, avec dévotion,
le couvercle.
-
Tout n’a pas encore été numérisé, avoua l’archiviste. Il vous faudra fouiller.
Le
Saint Graal apparut devant lui : des textes, des notes, une multitude
d’épreuves soigneusement classées : les monuments d’un coté, les portraits
de l’autre ; tous réalisés par Lessaux. Il prit cette pile et remarqua la
présence de dates et de numéros de cliché en haut à droite des planches.
« 2
avril 1897 ; n°721 …. »
il tourna plusieurs planches « 15 novembre 1907 ; n°613 » encore des planches ... « 16
août 1914 ; n°1126 ». Zut, il
était allé trop loin.
Alors,
avec une infinie patience, il reprit le fil le 27 octobre 1909 ; n°1011.
Il
vit défiler des familles entières en costumes sombres ; des enfants en
communiant ; des jeunes filles en robe de mousseline accoudées à de hautes
sellettes ; des mariés trop sérieux et des nouveaux nés allongés sur des
peaux d’animaux.
« 27
janvier 1912 ; n° 1054 »
Julien
retint son souffle. Prolonger encore cet instant magique…
Va-t-il
une fois de plus être déçu ? Est-ce, à nouveau, une impasse ? Est-il
arrivé au bout du chemin ?
Il
baissa les yeux, de la date à l’image, le cœur battant.
Une
petite femme de trois quart, les cheveux relevés en un savant chignon maintenu
par une pince en nacre, enserrée dans une robe noire, le visage grave, les
lèvres finement ourlées se tenait devant lui.
Il
ferma les yeux ; les rouvrit lentement : elle était toujours là. Bien
là.
De
ses doigts tremblant il retourna l’image.
Au
dos une multitude d’inscriptions minuscules, mais il ne lut que celle écrite à
l’encre rouge: « Adrienne
SASSIER ».
Il
regarda le frêle visage :
-Bonjour…Adrienne...
Il
n’y avait plus rien à ajouter, ni finalement, plus rien à rechercher.
Il
referma la boite et s’en fut.
NOUVELLE
Bonjour à tous, Le bel oiseau ? 7
h : Voix métallique de l’horloge. Réveil difficile. Sensation désagréable,
prémonition funeste, attention, aujourd’hui : danger. Parce qu’à chaque
fois que je l’ai ressentie, ça n’a pas loupé : le bol de café sur mon
pantalon blanc et qui , en plus, me brûle (des cloques pendant trois jours) ,
je vous passe le Schumacher du quartier, il grille un feu et emporte avec lui
mon aile avant gauche ; et dernièrement la collision fortuite avec un
serveur (dommage il était mignon) au détour du zinc du « p’tit bistrot »
et qui, bien entendu, tenait un plateau rempli de boissons qui sont venues
s’étaler sur le sol dans un grand fracas de verre. La honte ! Du coup, ce
matin, je ne me sens que très moyennement rassurée. Il va falloir être
vigilante, surtout que ce soir j’ai rendez-vous avec le bel Emmanuel. Deux mois
que j’attends ça ! Bon d’accord, il n’est pas encore dans mon lit, mais
j’espère bien, au moins, un long baiser de cinéma. Vivement dix-huit heures. 8
h 50 : J’arrive au boulot. Jusque là tout s’est bien passé, j’ai même trouvé
rapidement une place pour ma voiture. C’est louche, vais-je le payer
doublement ? J’entre
fébrilement dans le cabinet. Et si le mauvais pressentiment concernait mon
travail ? Un patient pénible ? Un taré qui veut me découper en
morceaux avec mon bistouri ? Ou pire, ma patronne qui a décidé, une fois
de plus, de venir m’enquiquiner : et pourquoi ci…et pourquoi ça…et
gnagnagna. Celle-là, c’est vraiment une plaie. Heureusement il y a Suzann, la
secrétaire. Sympa, toujours de bonne humeur et surtout, dotée du légendaire
flegme britannique, fort utile avec les patients. Comme
elle me voit jeter des regards furtifs en direction de la porte de ma très
chère consoeur, elle abrège mon supplice : « elle n’est pas là. Tu sais,
la formation diabète… » S’il y a un dieu de l’employé c’est sûr, il est
avec moi aujourd’hui. C’est toujours ça de pris. Je respire mieux et regarde
maintenant l’agenda avec appréhension. Y a-t-il, dans cette suite de noms, des
fâcheux potentiels ? Le nœud dans mon ventre proviendrait-il d’une de ces
personnes ? -Mme
Le Corre, non ; Mme Nedellec, chouette je vais avoir des chocolats ;
Mr Moal, connais pas (serait-ce lui ??) ; Mme Marioz, non ; Mme
Kerhapp, houhou, méfiance, celle-là pinaille parfois ; Mr Rinpré, oh lui,
il est absolument charmant ; Mme Loirret, ah zut, j’en suis certaine
maintenant, c’est elle ! A chaque fois, j’ai droit à des remarques, à
des « oh, doucement voyons, vous me faites mal ! Quelle brute
vous êtes aujourd’hui ! » et curieusement elle revient toujours. J’en
ai des sueurs froides quand je la soigne. Et dire que je termine ma journée par
ce cerbère en tailleur Chanel ! Heureusement
qu’après, j’ai ma petite récompense. Ah… Emmanuel… La
pédicure attentionnée que je suis a dorloté mesdames Le Corre et Nedellec. J’ai
eu droit à mes chocolats, fourrés au café, mes préférés. Attention aux kilos
dans les fesses, quand même. Entre
Mr Moal. Restons sur nos gardes. La cinquantaine, distant, il me sort une tonne
de radios pour m’expliquer des douleurs saugrenues au pied droit. Hou la la…le
voilà le problème, me dis-je. Et puis, non. Après un examen minutieux pendant
lequel mon patient se déride, je conclus simplement. Semelles pour jeudi. Il me
quitte enchanté. Pause
café-chocolats fourrés avec Suzann. Comme nous ne sommes que toutes les deux,
elle s’étire en longueur. Une fois n’est pas coutume. Mais déjà il est temps de
reprendre notre labeur qui se poursuit, pour moi, dans l’atelier. Au programme,
trois paires de semelles à terminer. Vite
je coupe, vite je ponce, vite je colle sur fond de musique rock que crache le
poste de radio. J’en aurais presque oublié cet affreux pressentiment si, à
l’instant de refermer le tube de glue, le pinceau ne m’avait échappé des doigts
pour venir s’écraser par terre. J’ai juste eu le temps de l’esquiver. Etait-ce
là ma prémonition ? En tout cas j’ai frôlé la catastrophe et me promets
d’être plus attentive pour le reste de la journée. 12
h 30 : il fait très beau ce midi et c’est l’esprit badin que je
descends au port de commerce. Je vais rejoindre ma copine Marie pour déjeuner
« aux quatre vents ». Sur le port, agité par le tournoiement
incessant des goélands dans le ciel et le va-et-vient des navires sur l’eau,
les terrasses des restaurants sont déjà bien remplies. C’est sûr qu’ici il faut
profiter du moindre rayon de soleil quand celui-ci daigne se montrer. On ne
peut pas dire que Brest soit réputée
pour son climat! Alors Marie et moi en profitons un maximum, lunettes noires
sur le nez, cigarette dans une main, kir dans l’autre, en train de faire nos
pestes à mater les manutentionnaires du port en marcel blanc et jean moulant. J’évite
le plat du jour : moules aux curry. J’adore ça mais alors que j’allais
commander ce régal, une vision d’horreur m’arrêta brusquement : un
mollusque récalcitrant projetant son jus orange sur la jolie petite robe noir
que j’ai payée une fortune pour mon rencard de ce soir. Et plus je vais essayer
de la nettoyer, plus la tache va s’étaler et ressembler à un gros crachat.
Magnifique ! Sans oublier l’odeur ; un bonheur. C’est sûr qu’avec ça,
pas de doute, Emmanuel va craquer. Non,
non, surtout ne prendre aucun risque. J’ai cherché pendant trois jours LA tenue
sexy mais pas vulgaire qui ferait chavirer n’importe quel homme normalement
constitué, j’ai passé deux heures chez « Josy coiffure » afin de
rendre présentable mes cheveux filasses, plus une heure ce matin à jouer du
fond de teint, blush et autre mascara pour ne pas tout foutre en l’air à treize
heures devant des moules de bouchot ! Je me rabats sur une tarte aux poireaux,
inoffensive. 14
h 30 : Mme Marioz quitte le cabinet avec des pieds neufs. Et c’est, un peu
tendue, que j’accueille Mme Kerhapp. Pourvu qu’elle soit dans un bon jour…Mon
appréhension matinale me reprend. Je suis sur mes gardes, concentrée, le geste
précis, rapide, efficace, la parole aimable et le sourire de rigueur. Et tout
se déroule à merveille, la patiente ressort satisfaite. Mr
Rinpré arrive, essoufflé, se confondant en excuses pour trois minutes de
retard. Quel vieux monsieur délicieux. En un clin d’œil le voilà assis sur le
fauteuil. Il me raconte alors tout un tas d’histoires drôles sans oublier, bien
entendu, les dernières anecdotes du quartier et de ses habitants. C’est qu’il
est un peu commère à ses heures. Malheureusement les meilleures choses ont une
fin et Mr Rinpré me quitte, l’oeil malicieux en esquissant un sourire.
Maintenant il va taquiner Suzann pendant un quart d’heure avant de rentrer chez
lui. Je vais les entendre rire tandis que je serai aux prises avec une gorgone. Allez
courage, une demi heure de supplice, c’est vite passée. Méthode coué, car cette
demi heure je l’ai sentie ne pas passer justement. Plus cette vipère me
suppliciait, plus l’horloge ralentissait. J’ai essayé de respirer profondément
et doucement afin de ne pas avoir des suées qui auraient ravagé mon rimmel et
anéanti les efforts de mon déodorant. Je ne peux pas me permettre de me
présenter devant l’homme de ma vie dégoulinante de transpiration et empestant
la sueur. Allez, allez, respire ma fille. Et surtout, ne pas regarder cette
Méduse ! 17
h 45 : mon calvaire s’arrête enfin… J’ai vraiment besoin d’un sopalin pour
mes aisselles et d’une clope. Pff….la première bouffée est un bonheur. Avec ça
un petit chocolat de Mme Nedellec, je l’ai bien mérité … Je
souffle enfin. Ça y est. La journée de travail est terminée, je sens mes
craintes se dissiper. Après un rapide rangement, je claque la bise à Suzann
« Bon week-end, à lundi » et referme la porte derrière moi. Tout est
en place : la tenue impeccable, la coiffure aussi. Un petit coup de
parfum, du rouge sur mes lèvres, je troque mes ballerines pour d’adorables
escarpins pailletés. Les premiers pas sont hasardeux avec huit centimètres de
talons mais je me sens légère, sereine. Le mauvais pressentiment s’est envolé,
c’était une fausse alerte. Le
soleil darde toujours la ville de ses rayons tandis que je pousse la porte de
l’immeuble. J’aperçois Emmanuel, en face, sur le trottoir, terriblement
attirant dans sa veste Armani grise, des lunettes Pilote sur le nez, nonchalamment
adossé à un réverbère. Et moi, affriolante dans ma petite robe noire, apprêtée,
maquillée, manucurée même, je fais un pas dans sa direction. Je
suis stoppée dans mon élan. Un liquide visqueux, grumeleux, jaunâtre et sentant
fort l’excrément tombe sur mes cheveux, glisse sur ma joue et vient s’écraser
sur mon bustier. Un
goéland vient de me déféquer dessus... Sur
le trottoir d’en face, Emmanuel éclate de rire.
Je vous propose aujourd'hui une nouvelle de ma composition. Bonne lecture, et n'hésitez pas à me donner votre avis.
*********************************
Poème de mardi
CHRONIQUES BRESTOISE
<!-- /* Style Definitions */ p.MsoNormal,
L' HISTOIRE DE LA SEMAINE (en lecture + commode, of course)
Dans notre série estivale
« les meilleurs recettes des lecteurs », cette semaine Piotr
Guillotine nous propose :
LE CRIME PARFAIT
Niveau de
difficulté : ** *
Préparation :
1 heure + une nuit de macération
Coût :
**
Ingrédients (pour
une personne) :
- 4 gouttes de cyanure, ou pour les esthètes 3
feuilles de digitale pourpre
- une petite racine de mandragore
- 2 feuilles de laurier rose
- 1 c.c de cannelle (pour le goût)
- 2 belles poignées de trompette de la mort
- 1 c.s de miel (pourquoi pas ?)
- sans oublier l’essentiel : une belle victime, obligatoirement âgé
de plus de 18 ans (question d’éthique, nous précise l’auteur).
N.B : Pour les
débutants, vous pouvez abaisser le niveau de difficulté en choisissant un
organisme toxicomane, poly-pathologique ou atteint de troubles visuels et/ou
gustatifs.
Pour les autres, privilégiez
une victime certifiée viande Limousine, AB, HQE, éco-emballage, développement
durable, bio-grains, de la pentecôte ou élevé sous la mer.
Préparation :
- Commencez par vous laver
les mains, mettez des gants et un masque chirurgical (ne pas contaminer la
recette avec votre vulgaire H1 N1).
Réduisez en poudre la
mandragore d’une part et les feuilles de digitale séchées, d’autre part, à
l’aide d’un mort-ier.
Hachez finement les
trompettes de la mort.
- Dans un saladier, mélanger le cyanure (ou la digitaline), la
mandragore, les champignons et la cannelle. Remuez à l’aide d’un fouet. Ajoutez
les feuilles de laurier entières et fouettez ; fouettez encore et encore.
( !!)
Recouvrez le saladier d’une
feuille de cellophane et laissez macérer toute une nuit dans un endroit
glacial.
- Le lendemain, filtrez la
préparation. Vous obtenez alors un sirop d’une jolie coloration jaune-orangée
appelé communément « vahociel ». Si le sirop vire au vert, ajoutez du
cyanure jusqu’à obtention de la teinte requise. Attention toutefois à
l’amertume.
Incorporez délicatement le
miel.
- Une fois votre vahociel
prêt à l’emploi, versez-en 5 ml dans une tasse, complétez d’eau bouillante et
plongez-y un sachet d’infusion (ma préférence allant à « melon des
steppes arides»). Puis, prenez votre victime, mouillez bien son gosier et
surtout imbibez largement son estomac avec ce mélange.
Vous pouvez accompagnez ce
mets de pommes d’amour vache ou de madeleines au thallium.
- L’effet du breuvage est
constaté une heure plus tard par le décès soudain et « naturel » de
votre victime. (cf. l’intitulé de la recette)
Conseil de pro :
raccompagnez votre invité afin qu’il ne trépasse chez vous, cela risquerait de
nuire à votre réputation de fin gastronome.
A vos fourneaux donc, joyeux
compagnons de cuisine, en espérant que cette nouvelle idée recette comblera
d’aise vos hôtes.
La semaine prochaine :
l’élixir de jeunesse sans botox !
Pour contacter l’auteur : maison d’arrêt « erreur
judiciaire »
(Jusqu’en
2018) cellule 813
956
La croix du gardien cedex 0
bienvenue à tous
Hello, hello et bienvenue sur mon blog.
Merci d'être indulgent pour la débutante que je suis.
Je vous convie à me suivre dans mes tentatives artistiques.
Après avoir tenté l'aventure des maisons d'édition classique pour mon recueil de nouvelles, je vais essayer Lulu.com et l'auto-édition. J'attends encore 2 réponses. je vous tiendrai au courant, bien-sur.
En attendant je vous adresse quelques unes de mes dernières photos .
jungle urbaine , mars 2010